LES FABLES DE LA FONTAINE


Le cerf se voyant dans l'eau | Le cerf et la vigne | Le cerf malade


Jean de La Fontaine (1621-1695) est un célèbre auteur francais de l'époque de Louis XIV. Il est célèbre pour ses 124 fables. Trois d'entre elle parle du cerf.




Le cerf se voyant dans l'eau

Le cerf se voyant dans l'eau

Dans le cristal d'une fontaine
Un Cerf se mirant autrefois
Louait la beauté de son bois,
Et ne pouvait qu'avec que peine
Souffrir ses jambes de fuseaux,
Dont il voyait l'objet se perdre dans les eaux.
Quelle proportion de mes pieds à ma tête !
Disait-il en voyant leur ombre avec douleur :
Des taillis les plus hauts mon front atteint le faîte ;
Mes pieds ne me font point d'honneur.
Tout en parlant de la sorte,
Un Limier le fait partir ;
Il tâche à se garantir ;
Dans les forêts il s'emporte.
Son bois, dommageable ornement,
L'arrêtant à chaque moment,
Nuit à l'office que lui rendent
Ses pieds, de qui ses jours dépendent.
Il se dédit alors, et maudit les présents
Que le Ciel lui fait tous les ans.

Nous faisons cas du beau, nous méprisons l'utile ;
Et le beau souvent nous détruit.
Ce Cerf blâme ses pieds qui le rendent agile ;
Il estime un bois qui lui nuit.


 


Le cerf et la vigne

Le cerf et la vigne

Un cerf, à la faveur d'une vigne fort haute,
Et telle qu'on en voit en de certains climats,
S'étant mis à couvert et sauvé du trépas,
Les veneurs, pour ce coup, croyaient leurs chiens en faute;
Ils les rappellent donc. Le cerf, hors de danger,
Broute sa bienfaitrice : ingratitude extrême !
On l'entend, on retourne, on le fait déloger :
Il vient mourir en ce lieu même.
"J'ai mérité, dit-il, ce juste châtiment :
Profitez-en, ingrats." Il tombe en ce moment.
La meute en fait curée : il lui fut inutile
De pleurer aux veneurs à sa mort arrivés.

Vraie image de ceux qui profanent l'asile
Qui les a conservés.


 


Le cerf malade

Le cerf malade

En pays plein de cerfs, un cerf tomba malade.
Incontinent maint camarade
Accourt à son grabat le voir, le secourir,
Le consoler du moins multitude importune.
« Eh! messieurs, laissez-moi mourir.
Permettez qu'en forme commune
La Parque m'expédie ; et finissez vos pleurs.»
Point du tout les consolateurs
De ce triste devoir tout au long s'acquittèrent,
Quand il plut à Dieu s'en allèrent
Ce ne fut pas sans boire un coup,
C'est à dire sans prendre un droit de pâturage.
Tout se mit à brouter les bois du voisinage.
La pitance du cerf en déchut de beaucoup.
Il ne trouva plus rien à frire
D'un mal il tomba dans un pire,
Et se vit réduit à la fin
A jeûner et mourir de faim.

Il en coûte à qui vous réclame,
Médecins du corps et de l'âme!
ô temps! ô moeurs! j'ai beau crier,
Tout le monde se fait payer.